Le mouvement anarchiste portugais 
Le Monde Libertaire (1984) - 14 juin 1984 n° 535
L’anarchisme a été, jusqu’aux années 40, le courant idéologique 
prédominant au Portugal, dans la classe laborieuse. Pourtant, même 
aujourd’hui celui-ci prend un nouvel essor, il reste encore peu diffusé 
et mal connu, ce qui rend difficiles la connaissance et la compréhension
 de son évolution, de la période salazariste à nos jours. C’est à 
travers les quelques documents [1] auxquels j’ai eu accès que j’essaye de donner, ici, un aperçu de l’histoire et de l’existence de ce mouvement. 
La situation explosive au début du siècle
La période qui a suivi la guerre de 14-18 a marqué le début du 
déclin du mouvement ouvrier dans son ensemble. La guerre, la crise 
économique et la répression farouche, exercée par la république, ont 
provoqué une baisse significative du degré de combativité du prolétariat
 fatigué par des grèves aussi dures que longues.
D’un autre côté, une vague de protestations, menée par la 
bourgeoisie républicaine, contre le Parti démocrate, au pouvoir, a 
amplifié la crise politique déjà existante. Cette situation ne pouvait 
qu’être favorable aux tentatives de coups d’Etat, et de fait, l’une 
d’elles aboutit au coup d’État du 28 mai 1926, soutenu par tous les 
stratèges de la partie la plus conservatrice et réactionnaire de la 
bourgeoisie portugaise.
L’opposition du mouvement anarchiste ne se fit pas attendre. En 
effet, nombreuses et violentes, furent les actions de protestation. 
Pourtant, la répression s’ampli-fia, surtout après la tentative 
insurrectionnelle du 7 février 1927, où il y eu plusieurs dizaines de 
morts, des centaines d’arrestations ainsi que l’interdiction de la CGT 
et des journaux anarchistes. Dès lors, beaucoup de militants vont être 
contraints à l’exil ; de là, naîtra, à Paris, l’embryon de la future 
Fédération anarchiste des Portugais en exil (FAPE). Celle-ci commença à 
exister, réellement, en Espagne, dès 1931-1932, et eut un rôle important
 durant la guerre civile espagnole. Au Portugal, il fallut attendre 1929
 pour que la presse anarchiste réapparaisse (à Porto, avec Le Germinal, L’Aurore et La Vie (dans cette ville, la répression était beaucoup moins importante qu’à Lisbonne).
En 1930, se forma l’Alliance libertaire de Lisbonne (ALL), et petit à
 petit, divers groupes apparurent dans tout le pays. Leur fédération 
donna donc l’ALL qui elle-même engendra en juin 1932 la Fédération 
anarchiste de la région portugaise (FARP). Pourtant les persécutions 
policières, les nombreuses arrestations de ses militants, eurent raison 
d’elle, six mois plus tard.
Malgré cela, à la suite d’une réunion, au printemps 1932, dans la 
Société espérantiste Antawen, se créa le Comité régional organisateur 
des jeunes libertaires. Ce dernier sera le seul mouvement spécifiquement
 anarchiste (avec pour but la reconstruction de tout le mouvement) qui 
réussisse à survivre jusqu’aux années 50.
Pendant ce temps, le régime politique de Salazar, devenant de plus 
en plus fort, publie le Statut du travail national, avec pour but la 
dissolution des syndicats existants. De là, va sortir la tentative 
d’insurrection du 18 janvier 1934, qui fut, à cette époque, sans 
conteste, un des principaux mouvements tentés par le prolétariat, de 
manière autonome. L’échec de cette tentative et l’augmentation 
importante de la répression policière entraînèrent certains changements 
dans le mouvement anarchiste, et en particulier, la disparition 
définitive de la CGT en tant que telle. Pourtant, son journal, A Batalha (« La bataille ») continuera à paraître, clandestinement, grâce aux divers groupes de la FARP et des Jeunes libertaires.
En 1939, donc, quasiment toute opposition au régime avait disparu. 
La répression atteignit un seuil jamais franchi par elle, et ce furent 
plusieurs dizaines de militants du mouvement anarchiste qui furent 
arrêtés et déportés. Il faut d’ailleurs souligner que la conjoncture 
internationale, dominée par le renforcement du fascisme dans plusieurs 
pays d’Europe, et surtout par la défaite du mouvement révolutionnaire 
espagnol, était totalement favorable au durcissement du régime 
salazariste. Les causes de la disparition du mouvement anarchiste en 
1950 furent sans doute :
- sa non adaptation à la nouvelle réalité ;
- une faiblesse théorique et progressive [2] ;
- et surtout la forte répression.
Il y eu alors une dispersion des militants anarchistes qui 
continuèrent leurs activités, soit au sein du Mouvement d’unité 
démocratique, qui était apparu en 1945, soit au sein de coopératives et 
associations. Le mouvement ne réapparut, alors, en tant que tel, qu’en 
1974.
Pour des carences diverses et par manque de moyens matériels, 
l’organisation libertaire n’a pas connu de grand développement après le 
25 avril 1974 (« Révolution des oeillets »). Parmi les nombreux jeunes [3]
 apparemment plein d’enthousiasme, apparaissant à cette époque dans les 
organisations libertaires, beaucoup, en fait, ne faisaient que passer en
 courant d’air, d’où les échecs des tentatives d’organisations à 
l’échelle nationale, comme ont essayé de l’être le Mouvement libertaire 
portugais (MLP), l’Alliance libertaire et anarcho-syndicaliste, pour ne 
parler que de celles qui ont eu, effectivement, un début de réalisation 
(tout cela étant fait avec comme base le journal A Batalha). A Voz Anarquiste
 (« La voix anarchiste »), qui depuis sa fondation (soutenue par le 
Centre de culture libertaire) a toujours eu son adresse à Almada, a été 
présente dans toutes les tentatives organisationnelles à l’échelle 
nationale.
C’est d’ailleurs en cette année 1974 que naquit la revue « de culture et de pensée anarchiste » A Ideia (« L’Idée ») qui continue à paraître aujourd’hui, environ tous les six mois. Il ne faudrait pas non plus oublier le journal O Meridional qui parut de 1978 à 1979 et dont le livre de Julio Carrapato : Una campanha de salubridade on a critiquerda ideologia do conformismo
 (« Une campagne de salubrité ou la critique de l’idéologie du 
conformisme) retrace pour nous plusieurs articles très intéressants de 
ce journal.
Le mouvement anarchiste portugais aujourd’hui
Il y a de nombreux compagnons isolés, suivant la tendance plus ou 
moins individualiste. Pourtant, depuis ces dernières années des petits 
groupes apparaissent dans différentes régions du Portugal et semblent 
plus solides, moins éphémères qu’auparavant, plus présents dans les 
luttes (antinucléaires, antimilitarisme, social, etc.).
Deux projets intéressants destinés à améliorer les moyens de 
diffusion de l’idéologie anarchiste sont en cours : une imprimerie 
libertaire et une radio Liberté. D’un autre côté, le journal Voz Anarquista
 a terminé sa longue marche avec le n° 74 (les éditeurs étudient, 
actuellement, le lancement d’un nouveau type de publication périodique).
Le journal A Batalha (ancien organe de la CGT 
anarcho-syndicaliste, qui est le journal libertaire paraissant le plus 
régulièrement, actuellement au Portugal) est confronté a de nombreuses 
difficultés (économiques, entre autres), d’où une tentative de 
restructuration.
Il ne faudrait pas oublier, pour terminer, de parler de la publication polycopiée O Despertar
 (« Le Réveil », des jeunesses libertaires) qui n’a pas une parution 
périodique, mais dont il est intéressant de signaler l’existence, car 
elle semblerait marquer la renaissance des Jeunesses libertaires au 
Portugal. Signalons également le projet de réalisation en 1987 d’un 
colloque d’études et une exposition historique sur le thème : « Un 
siècle d’anarchisme au Portugal ».
Secrétariat aux relations Internationales
[1] Documents utilisés pour cette étude A Ideia n° 32-33, Apontamentos sobre a historia das JJLL en Portugal (FIJL), le livre de José Francisco, cité ci-dessous ; Osegredo dos prisées atkintices de Acàcia Tomas de Aquino ; O despertar operario em Portugal de Edgar Rodrigues (éd. Sementeira).
[2] Cette faiblesse théorique se sentira d’ailleurs dans les quelques journaux qui réussissent à survivre durant cette période.
[3] Pour
 un témoignage sur les journées d’un militant anarchiste pendant la 
« Révolution des œillets », voir le livre de José Francisco Episédios da minha vida familiar de militante confederal, éd. Sementeira.
 
 
 



