Jornal COMBATE - 2 publicações Vosstanie Editions

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terça-feira, 20 de maio de 2014

APRES LE 25 NOVEMBRE PORTUGAIS REPRESSION ET RESISTANCE DANS LE MILIEU OUVRIER par Charles REEVE

APRES LE 25 NOVEMBRE PORTUGAIS 
REPRESSION ET RESISTANCE 
DANS LE MILIEU OUVRIER 

par Charles REEVE


Paru dans la revue Spartacus N°B66R2 / Mars - Avril 1976


Il est indiscutable qu'un nombre im­portant d'ouvriers de la région industrielle de Lisbonne se sont sentis concernés par l'issue du putsch du 25 novembre 1975. Certes, si la masse de ces travailleurs étaient venus à accepter l'idée des groupes gauchistes selon laquelle l'affron­tement contre le capitalisme serait décidé par un conflit intermilitaires, ils restaient sceptiques mais décidés à jouer un rôle dans les évènements. Il est d'ailleurs plus que probable qu'une éventuelle participa­tion d'ouvriers armés aux affrontements aurait déclenché une dynamique particu­lière, changeant radicalement le cours des évènements, leur portée et leur contenu. Cela, les cadres militaires «pro­gressistes» l'ont bien imaginé et c'est, sans doute, une des raisons pour les­quelles ils ont obstinément refusé de dis­tribuer des armes aux ouvriers, lesquelles auraient risqué de bientôt se retourner aussi contre eux. 

Il y a eu aussi beaucoup de travail­leurs qui se sont abstenus d'intervenir dans les évènements ; les uns, en nombre sûrement très limité, ayant une conscience claire que l'intervention ouvrière se faisait à la remorque d'une ten­dance de la classe dirigeante et qu'ils étaient capables de donner un contenu de classe au processus. D'autres , la majo­rité, par pure passivité et désintérêt. D'au­tres encore, dont quelques C.T. (Commis­sions de Travailleurs) importantes, ont suivi les mots d'ordre et les idées de groupes comme le M.R.P.P. pour qui le putsch était : « de la totale responsabilité du P. C. P... le parti dit communiste »(1). 

Néanmoins, s'il est certain que la vic­toire du projet de la Gauche du MFA n'ap­portait pas de salut à la classe ouvrière, son écrasement ouvrait la voie à la répres­sion en milieu ouvrier. De cela les travail­leurs en étaient bien conscients. Pour le prouver les faits sont là, et ce sont les mêmes dirigeants du M.R.P.P. qui sont aujourd'hui obligés de reconnaître que : « La bourgeoisie s'est renforcée avec le 25 Novembre » (2). En effet, après deux mois, on peut, non seulement dire que l'initia­tive est passée du côté de la classe domi­nante, mais aussi que les objectifs de la « normalisation » se font clairs. Bien plus que les enquêtes et l'arrestation de mili­taires « progressistes », c'est la répression qui s'abat sur le mouvement ouvrier que doit nous intéresser car c'est elle qui va avoir des conséquences sur l'avenir du pays. Comme l'explique le journal Combate(3) : « Maintenant le gouvernement fait des perquisitions au siège de quelques partis ; mais ce sont surtout les militants ouvriers qui sont arrêtés. Quelques—uns de ces travailleurs arrêtés peuvent être membres ou sympathisants de partis, mais c'est en tant que militants du mouve­ment ouvrier qu'ils ont développé leurs ef­forts et c'est en tant que tels qu'ils sont ar­rêtés. Les partis eux mêmes soulignent bien la distinction lorsqu'il gardent, face à l'emprisonnement de militants ouvriers, une passivité et une discrétion qu'ils n'au­raient pas s'il s'agissait des membres de leurs appareils bureaucratisés ».

Dans les campagnes 

Dans les campagnes la « normalisa­tion » suit deux chemins. D'un côté par la répression qui s'abat sur les coopératives agricoles les plus radicales, d'un autre côté par le renforcement du contrôle étati­que sur la grande masse des salariés agri­coles qui occupent des propriétés dans le Sud. Dans les premières les militaires sont intervenus directement et violemment ; perquisitions et recherche d'armes, déploiement d'importantes forces militaires. C'est le cas dans quel­ques coopératives où étaient influents des militants de groupes gauchistes plutôt non—autoritaires comme la L.U.A.R. (Terre-bela, Aveiras de cima, Albernea), et où les arrestations se chiffrent par des dizaines. Les dénionciations et la division entre tra­vailleurs sont monnaie courante et sont utilisées par les militaires, l'isolement des populations se renforce « ce sont des hors la loi, des contre-révolutionnaire » et la peur gagne les travailleurs. Il faut en finir avec ces « anomalies », comme les appelle le Secrétaire à la Réforme Agraire, mem­bre du Parti Communiste(4), où les formes d'organisation étaient plus indépendantes du Syndicat, où les conditions de vie et de travail étaient plus égalitaires(5), où l'on ne cherchait pas seulement à « avoir un salaire garanti », comme dans le Sud, mais surtout « à vivre autrement » .



Pour l'ensemble des propriétés occu­pées de l'Alentejo l'intervention de l'Etat se renforce, il faut que la réforme agraire prenne toute sa signification : l'augmenta­tion de la productivité. Comme l'explique ce même Secrétaire d'Etat, la récente attri­bution de crédits pour le paiement dessa­laires — dont le retard posait des pro­blèmes depuis plusieurs mois (6)— est venu stabiliser la situation et neutraliser toute éventuelle révolte des salariés contre celui qui est la courroie de transmis­sion de l'Etat, celui qui paye les salaires ; le Syndicat des Travailleurs Agricoles, pro­-communiste. Pour compléter ce contrôle et cette centralisation, l'Etat rem­place les directions des centres régionaux de la réforme agraire où l'influence gau­chiste était forte. 

Dans les quartiers

Avant, lorsqu'on occupait un immeu­ble ou un quartier non—habité, les C.M. in­formaient le C.O P.C.O.N:, et ceci leur ser­vait de caution devant un Pouvoir instable. Maintenant non seulement il n'y a plus de C.O.P.C.O.N. mais la répression s'abat sur les occupants ! L'intervention de la G.N.R. et P.S.P. (7) est devenue choses générali­sée. Des cas comme celui d'un proprié­taire qui se fait accompagner par trois ca­mions de G.N.R. armées jusqu'aux dents pour déloger un occupant et sa femme, (quartier N.S. de Fatima—Lisboa, mi dé­cembre, Républica), sont quotidiens. Sous prétexte de recherches d'armes les forces militaires rentrent partout, allant jusqu'à envahir et détruire des crêches po­pulaires mises sur pied par les C.M. (Cova da Piedade). 

SUR LES LIEUX DE TRAVAIL 

C'est évidemment sur les lieux de tra­vail que la « normalisation » est la plus né­cessaire et aussi la plus difficile car faut te­nir compte de la force collective et de l'ex­périence de lutte qui marquent les travail­leurs des régions industrielles. C'est pourquoi les premières tentatives du Pou­voir et la réaction ouvrière jouent un rôle de test. Dans les petites boîtes on n'y va pas par quatre chemins, c'est le licencie­ment pur et simples des militants les plus actifs. Souvent on a recours à la délation, « cherchant à obtenir que des travailleurs dénoncent d'autres travailleurs; Mais, parmi les travailleurs arrêtés pour avoir participé activement à la mobilisation de camarades lors du 25 novembre, il y a aussi ceux de grandes entreprises, comme c'est le cas avec des ouvriers arrê­tés dans la grande boîte de travaux publics J. Pimenta. (9). 
Mais le moyen le plus efficace c'est encore celui des licenciements collectifs, la fermeture pure et simple des usines. Deux cas importants sont à condidérer. TlMEX, une des premières usines en lutte après le 25 avril 1974, avec une masse ouvrière politisée et riche d'expérience de lutte, où sont apparues les premières CT et 
des formes d'action collective directe (10), la direction vient d'annoncer la mise au chômage de 800 ouvriers sur les 2000 que compte l'entreprise, les maintenus voyant leurs horaires réduits de 3 heures par semaine ! Chez Applied Magnéties, entreprise multinationale aussi, fabriquant des composants électroniques, les ouvrières en lutte contre la fermeture de l'entreprise occupent depuis 16 mois. Les tribunaux viennent de décider l'expulsion des grévistes et les forces de la G.N.R. ap­pliquent l'ordre. Malgré la fraternisation momentanée des travailleurs venus dé­monter les machines et les appels de la C. T., la lutte se termine dans l'indiffé­rence totale. A peine une trentaine de tra­vailleurs d'autres entreprises se dépla­çant pour former des piquets ! La diffé­rence est grande avec le vaste mouve­ment de solidarité que toutes ces luttes avaient déclenché lors de la grande vague de luttes en 1974 (11). L'absence de solida­rité ouvrière dans ces premières tenta­tives de répression du capitalisme ne lais­sera pas indifférents le Pouvoir. Abandon­nées par les syndicats (Syndicat des élec­triciens pro-communiste) et par les groupes gauchistes qui les ont tant mani­pulées, les ouvrières de l'A. P. P. L. 1. E. D., comme ceux de Timex, souffrent les pre­mières des conséquences du reflux du mouvement social. Le fait que ces entre­prises soient des multinationales, avec un cycle de production extrêmement divisé, rend impossible toute reconversion dans le cadre d'une « économie nationale ». Ceci devrait, dans l'avenir, pousser les tra­vailleurs à comprendre l'absurdité des stratégies « d'indépendances nationale » des groupes gauchistes et, au contraire, les convaincre de développer la solidarité. internationale avec les travailleurs des mêmes branches, seule réponse efficace. 
Signe des temps, à la répression par le blocage des salaires, les licenciements et le refus d'appliquer les conventions col­lectives signées comme c'est le cas avec les ouvriers du bâtiment où la démobilisa -tion est grande après leur lutte de Novem­bre, vient s'ajouter l'intervention, pour la première fois depuis le 25 avril 1974 des forces policières. « ...avec une large expérience d'intervention, rodées par la repression exercée auparavant, fraîches et prêtes à suivre les ordres du pouvoir capita­liste... le mot d'ordre « les ordres ne se dis­cutent pas » leur va à perfection (2). 

Effet de l'effondrement économique, le chômage, la peur, gagne l'ensemble des travailleurs. Cependant tout n'est pas noir ! Malgré cette répression sélective, la réaction ouvrière se manifeste, laissant un léger espoir. Les discussions et les contacts entre les CT se développent. Dans ces réunions des ouvriers mettent ouvertement en cause les pratiques sui­vies, « dépassées par les évènements du 25 novembre » (13). La classe ouvrière est seule, maintenant comme auparavant, à la seule différence qu'aujourd'hui elle le sait, par la force des choses ! Et c'est une différence. Dans des quartiers les gens  s'organisent pour s'opposer aux expul­sions, dans les boîtes des occupations et des actions de solidarité se manifestent quelquefois lors des licenciements collec­tifs (Republica, 20/12/75). Mais ces ac­tions restent très limitées et l'on voit mal dans les conditions actuelles le déclenchement d'un vaste mouvement de lutte, ca­pable de faire renaître, à une échelle mas­sive et avec un pouvoir réel, des organisa­tions de base capables de mettre en dan­ger le pouvoir de la classe dominante. Les organisations de base, CT's et CM's sont affaiblies, vidées de représentativité et de possibilités, et c'est renverser le problème que penser que le développement de leur « unification autonome » peut répondre à la répression (journal Combate, 6/12/75). Unification de quoi ? Car l'unification est toujours possible au sommet par la création de « Coordinations » ou de Secrétariats » bidons, contrôlés par les groupes politiques. La question est de sa voir si l'on unifie des organisations sans représentativité ou celles qui sont l'expres­sion d'un mouvement de base réels. 

Une nouvelle phase dans la lutte so­ciale s'ouvre au Portugal. La force des travailleurs y est indiscutablement affaiblie, mais beaucoup de choses ont changé y compris leur mentalité. Dans l'avenir d'autres facteurs joueront un rôle important et il pas exclus que les changements qui se produisent actuellement dans la société et chez les travailleurs espagnols puissent influencer l'equilibre social du Portugal et la renaissance des luttes. Leur portéé se­rait alors toute autre. 


Paris, Janvier 1976 C.R.



(1) texte du M.R.P.P, O Tempo e o Modo, n° 114. 
(2). meeting du M.R.P.P., Lisboa, 18 décem­bre 1975. 
(3) Editorial, 26/12/75. 
(4) A. Biea, interview à O Lernal, Lisboa, 19/12/75. 
(5) voir Colin, « Révolution et contre-révolu-tion dans les campagnes Portugaises », Les Temps Modernes, Octobre 1975. 
(6) voir « Portugal : De l'incertitude à la fin des illusions » revue SPARTACUS, Novembre 1975. 
(7) G.N.R. = C.R.S. / P.S.P. = police . 
(8) Communiqué de la CT de l'entreprise C.I.R.E.S. (chimie), Répubica 19/12/75. 
(9) Combate, 26/12/75. 
(10) voir «Portugal l'autre combat>, Ed. Spartacus. 
( 11) voir «Portugal l'autre combat », Ed. Spartacus. 
(12) J. Henriques, O regresso da velha sen­hora », Expresso, 24/12/75. 
(13) Intervention d'un ouvrier dans l'A.G. des CT de la zone ouest de Lisbonne (Lisnave, E.D.F.-G.D.F., Transports Publics, etc), cité par Républica 15/12/75.

segunda-feira, 19 de maio de 2014

Documents N°13 Mars 1976 - O.R.A (Organisation Révolutionnaire Anarchiste)



Documents N°13 Mars 1976 - O.R.A (Organisation Révolutionnaire Anarchiste) 
supplément au N° 50 de Front Libertaire Avril 1976.

Ce numéro est constitué d'un éditorial du journal Combate du début de l'année 1976.
ainsi que d'un texte de João Bernardo :
Contribution pour une analyse de la situation économique et politique au Portugal

En téléchargement prochainement.

GRANDOLA VILA MORENA LE ROMAN D'UNE CHANSON

GRANDOLA VILA MORENA LE ROMAN D'UNE CHANSON



GRANDOLA VILA MORENA
LE ROMAN D'UNE CHANSON

Mercedes GUERREIRO et Jean LEMAITRE

Jeudi 25 avril 1974. Lisbonne. Les studios de Rádio Renascença. Programme « Limite ». Minuit vingt minutes et dix-neuf secondes... À cet instant précis, un journaliste et un technicien trompent la censure et diffusent sur les ondes la chanson « Grândola Vila Morena » de José Afonso. C’est le signal convenu, avec le mouvement clandestin des capitaines, pour lancer l’insurrection militaire contre le régime fasciste du Portugal.

Ce livre détaille la façon dont ce coup de maître a été réussi. Il retrace l’histoire de la chanson et de son auteur. 

Quarante ans se sont écoulés. « Grândola Vila Morena » retrouve une seconde jeunesse. Au Portugal, et ailleurs en Europe, la chanson accompagne aujourd’hui les actions contre l’austérité sociale, devenant un hymne international d’union et d’espoir.

Parution : avril 2014
ISBN 9782805920653 
Petite bibliothèque d'Aden
138 pages - 12 euros



sexta-feira, 16 de maio de 2014

Manifeste de l’armée (Lisbonne, juillet 1975)

Manifeste de l’armée

Association des Groupes Autonomes Anarchistes (Portugal)

Lisbonne, juillet 1975


« Nous voulons être des miliciens de la liberté, mais pas des soldats en uniforme. L’armée a montré qu’elle était un danger pour le peuple ; seules, les milices populaires protègent les libertés publiques : miliciens, oui ! soldats, jamais !  Tierra y Libertad (organe de la C.N.T.) Barcelone, 1939.

Nous pouvons affirmer que la vie dans les casernes s’est modifiée après le 25 avril. En effet, le mécontentement général et la crise d’autorité (aggravée avec le 25 avril) rendent plus aiguë l’opposition soldat gradé, l’indiscipline se manifestant à tous les niveaux. Le refus des services, les mutineries et le matériel détérioré dans la plupart des unités en témoignent.

La complexité de la machine militaire et l’urgence nécessaire à sa capacité de riposte excluent toute faiblesse, en particulier de type disciplinaire. L’indiscipline conduit forcément à la désagrégation de l’armée.

Bien sûr, ceci ne se vérifie pas dans les « troupes spéciales » ; étant donné les objectifs d’efficacité maximale, l’armée portugaise a besoin d’une force extrêmement disciplinée et spécialement entraînée. Les paras comme des bêtes dressées qu’ils sont, réagissent vite et ils ont déjà montré leur efficacité dans les massacres en Afrique et dans la répression policière au Portugal. Leur discipline est basée sur une soumission canine à la hiérarchie et sur la dépersonnalisation totale. Le para ne défend pas des valeurs morales ou des idéologies, il est une machine à faire la guerre. Incapable d’avoir une autre insertion sociale le para entretient son propre mythe.

Dans cette société, où l’individu réalise ses obsessions dans les actions des autres et dans les images représentées par les autres, fleurit encore un mythe, celui de la tenue léopard. L’habit fait le moine, le béret noir avec l’étoile fait le Che Guevara, la tenue léopard fait le Commando. Distribuer plusieurs milliers de tenues léopards destinées aux campagnes coloniales à la troupe qui en voulait et qui n’en avait jamais eu, c’était joindre l’utile à l’agréable. Peut-être le soldat se sentira-t-il para, et deviendra-t-il discipliné comme lui…

Publié dans le n°4 - déc. 1975
Cette manoeuvre vise à rétablir la discipline et l’ordre dans une armée qui a perdu son efficacité. Il s’agit de l’indispensable réorganisation de l’appareil d’État, vitale en ce moment pour le Gouvernement Provisoire qui doit acquérir de toute urgence le contrôle de la situation. Dans cette bataille, le MFA, avec l’aide des forces de gauche et d’extrême gauche et en s’appuyant sur les officiers du contingent, essaie de convaincre les soldats de participer au « processus révolutionnaire » par le truchement des « Assemblées d’Unité ». Le fruit interdit de la « démocratie interne » dans les casernes n’est autorisé qu’avec un maximum de « responsabilité, d’ordre et de discipline ». Ces organes « démocratiques » fonctionnent comme des structures de pouvoir en rapport direct avec le Commandement de l’Unité, exerçant un contrôle direct sur les soldats « dans l’accomplissement du devoir ». Aussi, ayant en vue la réorganisation de l’armée (la rendre plus efficace et plus opérationnelle) plusieurs officiers incompétents ont été éliminés en même temps que des jeunes officiers étaient élevés au grade de capitaine, colonel ou général, selon la « hiérarchie des compétences ». Cependant, il faut reconnaître que si ce processus de démocratisation de l’armée a pour but un meilleur contrôle des soldats de la part des Commandements des Unités, il risque d’être très dangereux pour ces derniers puisque les décisions de la base pourront facilement se dresser contre les intérêts du Commandement.

Donc, il faut aller au delà de l’élimination des fascistes et des incompétents, ce qui ne fait que contribuer à la structuration d’une armée forte.

Il faut comprendre que la fonction de l’Armée ne se limite pas à la défense du territoire et à aider la police quand celle-ci n’a pas assez de force : l’armée a toujours fourni des cadres au PSP, à la Police Judiciaire, à la GNR, à la PIDE, à la Légion, etc. La consolidation de la dictature militaire passe nécessairement par la centralisation du pouvoir militaire et policier dans un commandement unique : le COPCON.

L’armée, qu’elle soit fasciste, démocratique, socialiste ou populaire, sera toujours la colonne vertébrale de la machine d’État.

La seule position révolutionnaire face à l’armée est sa destruction.

Il faut accentuer l’opposition naturelle soldat/gradé en encourageant la révolte et l’indiscipline dans les casernes, en refusant de réprimer les travailleurs, en refusant les embarquements éventuels pour les colonies, en refusant de participer à la lutte d’une fraction politique de l’armée contre une autre.

Les soldats en tant qu’opprimés devront tourner leurs armes contre tous les oppresseurs, se refusant au contrôle d’une force politique quelconque.

La Révolution Sociale détruira toutes les illusions et les aliénations des hommes. Les producteurs s’associeront librement dans des communes de façon à produire le nécessaire pour la satisfaction de leurs besoins de consommation. Et à ceux qui invoquent la nécessité d’une armée pour la défense contre les attaques de la « réaction interne et de l’impérialisme international », les révolutionnaires répondront en créant des forces non professionnelles créées sur la base du volontariat et de l’affinité personnelle, et ils refuseront le principe d’autorité et de hiérarchie. Ces forces ne seront les appendices d’aucune armée rouge, ni l’exécutif d’aucun pouvoir populaire, mais des organes de la volonté révolutionnaire pour transformer le monde, pour changer la vie.

Lisbonne, juillet 1975

Bulletin de l’Association de Groupes Autonomes Anarchistes 

quinta-feira, 15 de maio de 2014

Portugal : Encore une révolution trahie ? par Julio Henriques

Portugal : Encore une révolution trahie ? 

Julio Henriques

Paru dans la revue Spartacus N° B 86 Nov-Déc. 1977


Ce bref article n'est qu'une exposition sommaire et introductive de certaines questions posées par le « cas portugais », maintenant relégué aux oubliettes. En par­ticulier, la question de la constitution réelle du prolétariat n'est pas du tout abor­dée, alors qu'il faut l'avoir présente à l'es­prit pour comprendre la faiblesse de ses exigences. Il serait sans doute utile d'y re­venir, notamment pour appréhender de plus près, l'état du mouvement social dans un pays qui a encore des poches de sous-développement importantes, lesquelles conditionnent de façon significative les possibilités de lutte des fractions plus mo­dernes du prolétariat industriel.

On sait comment, depuis la révolution russe, le thème des « révolutions trahies » a pris une place remarquable à l'intérieur de la pratique théorique. La « révolution portugaise » n'y a pas échappé (1). L'idéologie de la trahison, obscurantiste si l'on s'en réfère au processus réel, vient toujours à la traîne des cris de victoire trop vite lan­cés par des gens obnubilés par les formes que peut prendre ce monde, pourtant assez fatigué de modèles ; elle ne s'explique d'ail­leurs que par la permanence, au sein des groupements politiques d'extrême-gauche, de tendances de type « jacobin », qui ne considèrent le mouvement social qu'en termes politiciens.

Une des premières mesures légales adoptées par le nouveau pouvoir politique qui naquit après la chute de l'Etat corpo­ratif portugais, en 1974, a été la consé­cration du ler mai en tant que « journée du travailleur » (ou « journée du travail »). Une telle mesure n'était pas ambigüe ; elle ne faisait que consacrer officiellement l'éloge du travail salarié, auquel le prolé­tariat lui-même n'était pas étranger car il l'assumait aussi, de par l'évidente fai­blesse de son mouvement de négation révolutionnaire.

Cet éloge du travail aliéné ainsi inau­guré au Portugal à travers l'institutionna­lisation, par l'Etat, (ou par l'appareil mi­litaire qui à l'époque le remplaçait), du jour férié national le ler mai, ne fut pas une initiative sans rapport avec le climat social et les aspirations du mouvement impulsé par les travailleurs après le 25 avril 1974. En réalité, et malgré une période de luttes assez vives (2) pendant laquelle bon nombre de salariés qui faisaient preuve d'une certaine imagination subversive, le contenu de ces luttes n'a pratiquement jamais pu apparaître comme une menace pour les fondements de la société capita­liste portugaise, à savoir le travail salarié. Les revendications formulées se situaient pratiquement toutes dans le cadre d'une restructuration, d'une adaptation du système capitaliste portugais à de nou­veaux rapports de force, opposés déjà à l'administrativisme immobiliste corporatif hérité directement de l'Estado Novo (in­terdiction du syndicalisme) ; mais pas en­core à la production elle-même, au capita­lisme en lui-même. Quant au travail, les grévistes soit en ont fait l'éloge per­manent soit l'ont accepté, et cela malgré le radicalisme de certaines formes de lutte échappant au contrôle des syndicats ou des partis politiques, à travers lesquelles les travailleurs se manifestaient de façon autonome. 

Le point fondamental dés revendica­tions du prolétariat était de vendre la force de travail à un prix plus élevé et dans de meilleures conditions — ce qui d'ailleurs, passait assez souvent par la violence, du fait que les conditions politiques précé­dentes étaient notoirement différentes et que le patronat, trop habitué à avoir à ses flancs plusieurs polices, n'était, en grande partie, pas préparé à une telle irruption re­vendicative ouvrière (ainsi, quelques pa­trons se sont même suicidés). Le climat émotionnel de l'époque, d'autre part ajouté au fait que l'on croyait franchement possi­ble d'aller victorieusement de l'avant à tra­vers ce mouvement (lequel donc n'aurait tendance qu'à toujours se radicaliser) se prêtait peu aux analyses froides sur le contenu de ce qui se déroulait réelle­ment — d'une certaine manière parce que ce mouvement était en marche vers l'in­connu. 

Et pourtant, moins d'une année après il était déjà visible qu'on avait affaire, de la part du prolétariat, à une exigence de meilleure survie dans le cadre du capitalisme, et non pas à la volonté d'abolir celui-ci. 

On est en effet tenu de prendre en considération le sens de cette constata­tion : exiger l'abolition du capitalisme et la création d'une autre société commence, dans ses manifestations pratiques, par la négation du travail aliéné, celui-ci étant la base, la carcasse d'acier, la fondation du système capitaliste. En effet, « la liquidation du travail forcé est une des premières mesures qui expriment la réali­té du mouvement révolutionnaire » (3). En l'absence d'une telle négation, tout mouvement, malgré la violence que peuvent exprimer ses formes de lutte, ne peut qu'imposer au mouvement capitaliste la nécessité de restructurations, lesquelles peuvent notamment conduire à ce que cer­taines parties du système actuel soient gé­rées ou prises en main par les exploités eux-mêmes (4). 

Il est remarquable que même dans les usines de pointe de Margem Sul (Lisbonne), là où le prolétariat possède une plus grande somme d'expériences (y compris celle de la participation, mise en place par le capital moderniste à la fin des années 60, comme chez CUF (5), les ouvriers n'aient pas apporté de critique, même sommaire, des fondements du capital, à commencer par le travail forcé moderne, mais au contraire se soient toujours limi­tés à une critique quantitative portant sur les augmentations salariales ou les condi­tions de travail les plus pénibles. Plus : les seules alternatives formulées par certains secteurs ouvriers ont encore été liées aux alternatives envisagées au niveau de l'ap­pareil d'Etat ou des états-majors politi­ques qui avaient au moins un pied à l'étrier étatique, alternatives qui propo­saient une reconversion de certaines pro­ductions spécifiques (par exemple, la transformation d'usines de montage de voitures en usines de montage de tracteurs ou de production d'appareils électro­ménagers), comme cela s'est produit en 1975 lors du consulat du PC. 

La faiblesse pratique du mouvement prolétarien est généralement liée aux illu­sions qu'il nourrit, aux carences théoriques dont il fait preuve. Pratiquement comme en 1911, après la chute de la monarchie, on pourrait encore écrire ces mots de Neno Vasco, un militant anarchiste : K La question sociale ne se manifeste que faiblement (...) Les ouvriers des villes et les artisans des bourgs se laissent avoir par les promesses démocratiques .H (6) Faible donc dans ses perspectives de lutte contre cette société, qu'il cernait malgré tout encore assez mal, considérant le contenu largement capitaliste de ses revendica­tions, le mouvement prolétarien d'après le 25 avril demandait plus, mais n'exi­geait pas l'abolition de la vie aliénée. Il ne pouvait pas le faire, car il ne disposait pas encore de la clairvoyance et de la force nécessaires. C'est la raison pour laquelle très rapidement il s'est refourré dans les bras du vieux providentialisme, qui « amè­ne à attendre d'un gouvernement, d'une simple transformation politique, la solu­tion à tous les problèmes sociaux, le remède à toutes les douleurs particulières. ,» (6) 

La puissance dont le mouvement social a fait preuve au Portugal, après l'exaltante abrilada, a été d'ordre revendicatif (aug­mentations ou améliorations de ce qui existait). A travers cette puissance conjoncturelle, pourtant, il exprimait sa faiblesse stratégique. Et il s'est donc vu, plus ou moins rapidement, intégrer par les forces de la politique professionnelle (ou par celles qui y aspirent), guidé par les ber­gers politiques des différentes chapelles, pour qui les travailleurs ne sont qu'un troupeau qu'ils se doivent d'allécher ou de réprimer selon les circonstances. 

Une telle faiblesse n'est bien sûr pas inexplicable. On ne pouvait pas attendre d'un mouvement social dont l'expérience de presque un demi-siècle est relativement pauvre (et en importance et en profon­deur) que, à la suite d'un coup militaire réussi, il en vienne à tout bouleverser. D'autre part, et ceci il ne faut pas non plus l'oublier, ce mouvement de lutte s'est vu, dans des moments importants de son évo­lution, combattu (y compris par la menace des armes) dans son processus de dévelop­pement spontané, par les appareils politiques et militaires qui étaient alors au nid de la pie. Ces appareils logiquement, cher­chaient — très souvent avec succès — à l'encadrer, pour le diriger, comme c'est leur fonction (7). Toutefois, le mouve­ment n'a jamais pu être assez puissant pour proclamer, avec des résultats visibles et généralisés, ce qu'on su affirmer les grévistes du Jornal do Comércio à un mo­ment donné : (...) ce qui intéresse le PCP c'est de contrôler les travailleurs, et nulle­ment de leur donner l'initiative. Ce qui intéresse le PCP, comme tous les autres partis hiérarchisés et les cupulas (8), c'est de légalement se constituer en tant qu'en­treprise pour au moment voulu, distribuer les places au pouvoir à ses comités et ses chefs de service, laissant à ses militants la tâche de mettre en place une nouvelle mo­rale dominante qui aura pour mot d'ordre : travail pour les uns et privilèges pour les autres. Soixante années d'histoire ont été écrites qui défendent cette thèse, celles qui s'écoulent de la révolution russe à nos jours. Mais ce n'est pas ici le lieu pour en parler. On doit seulement souligner à ce propos ce qui suit : le mouvement des tra­vailleurs du Jornal do Comércio est un mouvement autonome. C'est ainsi qu'il a débuté, c'est ainsi qu'il finira. Nous n'avons pas eu besoin de quelque parti que ce soit pour le déclencher, nous n'en au­rons pas besoin pour avancer..» (9) 

Alors que l'année 1974 a été l'heure de la spontanéité réformatrice du mouve­ment capitaliste portugais (bien qu'il ait tenté d'aller au-delà), du fait de l'absence de l'Etat alors confronté à une difficile recomposition, 1975 a été marquée par la tentative assez osée de la part de ceux qui aspiraient au nouvel « Etat révolution­naire », de diriger et contrôler les mouve­ments revendicatifs et de les infléchir dans un sens donné (capitalisme étatique, via « bataille de la production »). Quant à 1976, « l'an III de la Révolution », il a été, pour le mouvement ouvrier, le temps de la misère explicite, exprimée par le recours systématique, dans pratiquement tous les conflits du travail, aux instances étatiques pour résoudre les problèmes — de salaires, de risques de faillite, de droits conquis et non satisfaits, de non application des contrats collectifs. Si bien qu'à un moment donné, vers la fin de l'année, le premier ministre Soares a dû (naturelle­ment en faisant l'âne pour avoir du son) conseiller aux travailleurs de ne pas tant dépendre de l'Etat et de résoudre leurs problèmes directement avec leurs patrons. 

Cet aspect, plus récent, doit être souligné (bien qu'il ait existé dès le début). En effet, tout au long de l'année 76 il était vi­sible que le mouvement social des travail­leurs fait appel soit au gouvernement, soit aux institutions étatiques parallèles — Con­seil de la Révolution (militaire), président de la République, Parlement, ministère du Travail — pour qu'ils fassent « appliquer la Constitution », document remarquable pour sa démagogie mystificatrice « de gauche ». Son isolement était devenu évi­dent. Sans possibilité de faire appel à la classe (car celle-ci, par elle-même, ne peut répondre, en termes de solidarité agissante, que par la révolte, les travailleurs lan­cèrent leurs appels à la direction (civile ou militaire) du mouvement capitaliste. L'en­semble des travailleurs réclamait sur le lieu de l'entreprise et sans quitter ce terrain, la résolution des problèmes de leurs entre­prises respectives — en mettant toujours en évidence les possibilités, réelles ou hypo­thétiques, d'obtenir une meilleure renta­bilité et une gestion plus efficace (affir­mant pour cela que l'entreprise a de l'ave­nir, qu'elle ne doit donc pas être aban­donnée, qu'il faut y investir, etc.). Cette faiblesse, il faut la rapprocher d'une autre, antérieure ou simultanée : celle de l'ab­sence permanente d'une perspective inter­nationale de lutte. Au moment même où le mouvement revendicatif prouvait sa force, il n'a pratiquement jamais essayé de s'élargir, de regarder vers l'extérieur, en cherchant des contacts de lutte avec des travailleurs d'autres pays (des multinatio­nales, par exemple, mais aussi chez ceux qui luttaient juste à côté, les grévistes es­pagnols). Il avait pour perspective, assez « naïve », de construire un Portugal meil­leur ; son discours ne se différenciait pratiquement pas de celui de l'Etat et des fractions divergentes. 

Après une telle période, les illusions (10) quant à la puissance révolutionnaire du mouvement prolétarien au Portugal ont tendance à être prises pour ce qu'elles n'ont jamais cessé d'être. En 1977 c'est peut-être la frustration qui domine, ceci même au niveau des militants gauchistes (tous staliniens, notons-le au passage, ou alors trotskystes). Les irréductibles illu­sionnistes, encore une fois, se trouvent du côté des idéologues de gauche et d'ex­trême-gauche, pour qui la classe ouvrière représente une entité mythique, une sorte de deus ex machina, et l'objet réitéré d'un culte de type religieux. Le mouvement prolétarien a dû passer par là, a dû faire l'expérience de la démagogie et de la mystification forcenées qui sont entre temps apparues et se sont organisées, puis­que celles-ci, même en crise, n'ont pu être démolies. Après le PC et les militaires, c'est maintenant le PS qui est au ciel de l'Etat ; après lui viendra peut-être la droite. De ce point de vue, le Portugal ne fait qu'adapter ses structures politiques aux expressions de son corps social.


(1) Certains ouvrages l'ont néanmoins abordée de façon utile'. Cf. Ch.Reeve, L'expérience portugaise : la conception putschiste de la révolution sociale, Paris, Spartacus, 1976, et la traduction portu­gaise, qui inclut un texte critique des guet: apens de l'autonomie ouvrière : D 25 de Novembro, Lisboa, Meridiano, 1976.

(2) Voir Collectif Spartacus, Portugal, l'autre combat, Paris, Spartacus, 1975

(3) Ratgeb, De la grève sauvage à l'auto­gestion généralisée, Paris, UGE, col. 10-18, 1975

(4) Telle est l'orientation du patronat d'avant-garde, qui a ainsi réagi devant le désintérêt croissant des ouvriers vis-à-vis de leur travail, dans les pays plus indus­trialisés. La Suède sert d'exemple à ce propos : ee une nouvelle loi sur la démo­cratie industrielle donnera bientôt à tous les salariés, des entreprises publiques ou privées, le droit de jouer leur rôle dans un certain nombre de domaines jusqu'ici exclusivement patronaux : direction et ré­partition du travail, études sur le travail, méthodes de travail, équipement et politi­que du personnel concernant les trans­ferts, les promotions, les licenciements et toute action disciplinaire. » La nouvelle législation, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1977, n'a pratiquement rien chan­gé pour de nombreuses entreprises sué­doises qui avaient déjà accordé volontaire­ment à leurs travailleurs la plupart des nouveaux droits qu'elle reconnaît: Cf. In­formations OIT, vol. 12, N° 6, Genève, 1976, p. 5

(5) Silva Marques, Relatos da Clandestini­dade, Lisboa, Expresso, 1976.

(6) Neno Vasco, Da Porta daEuropa, Lisboa 1913.

(7) Un parti formel (contrairement à ce qu'on peut désigner par parti historique, produit spontanément par la dynamique réelle des luttes de classes) est une institu­tion. Ayant des caractéristiques simi­laires à celles d'une entreprise, il vit de cette société, des nécessités formulées par elle-même. La fonction de tout parti for­mel, de gauche ou de droite, se distingue toujours par le fait qu'il existe pour diri­ger et contrôler ceux qui travaillent, en tant qu'instance administrative politique.

(8) Mot très utilisé depuis 74, qui veut dire à peu près « Les états-majors »

(9) « Jornal de Greve » du Jornal do Comércio, Lisboa, 12-9-74

(10) Contrairement à l'affirmation de Jaime Semprun, il n' y a pas eu de guerre sociale au Portugal. Gianfranco Sanguinet-ti tombe dans la même erreur dans une note de la postface à son inoubliable Rap­port véridique sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie, quand il dit en 1975, que si l'on veut vraiment voir la théorie situationniste en action, il suffit d'aller dans les usines portugaises.

segunda-feira, 12 de maio de 2014

LA REVOLUTION PORTUGAISE par Alain GUILLERM

LA REVOLUTION PORTUGAISE 

Alain GUILLERM

Paru dans la revue Spartacus N°B 64-R1 - Novembre - Décembre 1975

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DE LA GUERRE COLONIALE A LA REVOLUTION


Pour pallier l'hémorragie de cadres, alors que trois guerres s'allumaient en Afrique, fut prise en 1964 la décision d'où de­vait sortir le M.F.A.: l'entrée à l'Académie Militaire fut déclarée gratuite et les études payées. Alors que les fils de bourgeois allè­rent à l'Université et vers les carrières civiles (et aussi vers l'Eglise dans un pays où les curés sont grassement payés), les fils de petits-bourgeois s'engouffraient dans la carrière des armes, seul moyen de promotion sociale. Les petits-bourgeois devenus officiers, souvent les plus intellectuels d'entre eux; parallèle­ment, les fils d'ouvriers et de paysans entrèrent dans le corps des sous-officiers (les sergents, comme on dit là-bas, comme aux U.S.A.), avenir préférable à l'émigration en France ou en Belgique. Cette armée, aux cadres entièrement renouvelés, plé­béiens, allait connaître la défaite : en Guinée. Dès 1968, des ma­quis, menés par Hamilcar Cabral, contrôlaient 80% du territoire. Tout, sauf quelques villes et des franges côtières. C'est chez les «Guinéens» que va naître la contestation de tous bords : Spinola comme Carvalho, y exerceront leur commandement, Tenir la mi­nuscule Guinée n'avait aucun intérêt ni économique, ni mili­taire. Caetano, comme Spinola, auraient bien aimé l'abandonner pour «mettre le paquet» en Angola et au Mozambique. Mais c'é­tait impossible. Une défaite en Guinée aurait entraîné une réac­tion en chaîne. C'est donc là que la situation va pourrir, pour le fascisme. Dès 1972, les troupes de Guinée songent à faire sécession d'avec la métropole et à créer, avec les nationalistes, une République Populaire. C'est qu'ils ont énormément appris de leurs adversaires. En faisant de la «pacification», ils ont vu ce qu'était le marxisme du P.A.I.G.C. (1), non pas le cauchemar moscovite, mais les écoles, les hôpitaux, les fermes auto-gérées, la libération des femmes, une organisation sociale beaucoup plus avancée dans les zones «rebelles» qu'au Portugal.

Ils ont d'abord tenté d'imiter le P.A.I.G.C. pour se gagner les populations. A force de l'imiter, ils ne voient plus tellement la différence entre eux et lui. Mais, entre temps, les choses se précipi­tent : en Angola et au Mozambique où, massivement, les offi­ciers glissent aussi à gauche. L'utopie d'une sécession avec la métropole n'est plus nécessaire; toute l'armée est devenue anti­fasciste. Face à cette situation, le patronat portugais, comme la C.I.A., veulent lâcher Caetano avant que les jeunes officiers pro­gressistes ne le renversent. Et aussi, lâcher la Guinée et le Mo­zambique, pays pauvres, pour garder l'Angola, pays riche où, face à une guérilla de gauche (M.P.L.A.) existe une guérilla fas­ciste, le F.L.N.A., soutenu par les U.S.A., le Zaïre de Mobutu, et... la Chine. L'homme de la C.I.A. et du grand capital est tout trou­vé : c'est Spinola, lié par son nom à l'aristocratie et par sa famille à la haute bourgeoisie, ancien de Belchite (côté Franco) et de Léningrad (côté Hitler), commandant de la G.N.R. (gendarmerie) à Lisbonne, lors des émeutes d'étudiants, durement matées de 1966. Mais, au demeurant, grand homme de guerre et beaucoup de panache, ce qui ne gâte rien pour un putsch militaire. L'adver­saire de Spinola, c'est le Major Otelo de Carvalho, fils d'un petit colon du Mozambique, décidé dès le début à déclencher une ré­volution socialiste. Avant le 25 avril, alors qu'une date est choi­sie pour le soulèvement, le régiment d'élite de Caldas Da Rainha marche sur Lisbonne, sur ordre secret de Spinola pour court-cir­cuiter le M.F.A., en entraînant toute l'armée. Carvalho a cepen­dant éventé le piège et dit à ses troupes de ne pas marcher. L'af­faire échoue. Spinola est limogé par Caetano et le M.F.A. fixe une nouvelle date, le 25 avril 1974.


LE PORTUGAL APRES LE 25 AVRIL 

L'affaire réussit sans un coup de feu (sauf contre la P.I.D.E., seul appui qui reste au régime) et un gouvernement de compro­mis s'installe, compromis entre l'extrême droite ayant lâché le fascisme (Spinola) et l'extrême gauche. Spinola est Président de la République mais Otelo est chef du Copcon qui regroupe toutes les unités d'élite de la métropole et a pouvoir de police. D'un cô­té, le pouvoir légal, de l'autre côté, le pouvoir réel. Le nouveau gouvernement reflète cette coalition contre nature; un Premier Ministre: Palma Carlos, vieux débris du fascisme, par ailleurs, les partis de gauche (Soares et Cunhal) et les libéraux du P.P.D. (l'équivalent des Giscardiens). Cette coalition allait vite éclater; devant la vague de grèves ouvrières, Palma Carlos démission­nait, de mèche avec Spinola, exigeant le retrait du P.C. et du P.S. du gouvernement. A la grande surprise de commentateurs, on vit alors que Spinola ne commandait rien du tout. Non seule­ment les partis de gauche restaient au pouvoir, mais l'extrême droite en était évincée. Dès le 16 juillet 1974, l'entrée de cinq membres du M.F.A. au gouvernement pour remplacer la droite démissionnaire, les futurs protagonistes des luttes actuelles : Melo Antunes, Vasco Gonçalvès (Carvalho restant «en réserve de la République»), plutôt que la formation d'un gouvernement P.C.-P.S.-P.P.D., montre que la révolution ne sera pas l'affaire des partis mais de l'armée, du M.F.A. et du peuple. Tant que l'al­liance peuple-M.F.A., sur la base très vague du socialisme et de l'indépendance nationale fut maintenue la révolution poursuivit son cours en allant de victoire en victoire. Victoire du 28 septem­bre 1974 qui vit la démission de Spinola, victoire du 11 mars 1975 où la tentative de revanche des Spinolistes fut brisée dans l'oeuf. Mais l'hypothèque spinoliste écartée, les vrais problèmes allaient se poser: quel «socialisme»: celui de Brandt, celui de Brejnev, ou l'autogestion ? Quelle indépendance, celle de l'Eu­rope américanisée, celle de Moscou ou l'indépendance réelle, comme certains pays du Tiers Monde ? C'est là que les conflits al­laient naître, non plus contre les débris du fascisme mais au sein du peuple, comme au sein du M.F.A., c'est là que se situe la vraie crise, la crise actuelle. Dans cette crise, les communistes» furent les premiers à prendre l'offensive. Sachant le goût de l'or­dre qui est général chez les militaires et leur mépris, justifié, pour la foire électorale, ils tentèrent de dévier ces sentiments dans un sens totalitaire. D'abord, ils imposèrent une loi sur le Syndicat Unique - cette Intersyndicale bidon, dont les membres sont nommés par le parti contre les comités élus de travailleurs - ensuite ils refusèrent la tenue d'élections municipales, puis­qu'ils s'étaient emparés de toutes les mairies dès après le 25 avril. Enfin, ils s'empressèrent de noyauter l'appareil administra­tif mais aussi et surtout la radio, la télévision et la presse. Ce ne fut qu'un demi-succès, la presse restant libre en grande partie, contrairement à ce que l'on affirme (2), mais, impressioné par cette offensive communiste, le M.F.A. décida d'organiser des élections, sachant très bien ce qu'était réellement le P.C. dans le pays : peu de choses. 

Contrairement à ce qui était à craindre, les élections furent un très grand succès de la gauche. La droite, fascistes du C.D.S. et «giscardiens» du P.P.D., n'eut que 29 % des voix. Le P.C. et son al­lié, le M.D.P.: 18 %. Le P.S. par contre; eut presque 45 % des voix et ce, très bien réparties sur le pays ; il a mordu tant dans les endroits considérés comme fiefs communistes que dans les en­droits présumés fiefs réactionnaires. 

Malheureusement, au lieu de profiter de la dynamique de gauche pour imposer un gouvernement P.S.-P.C.-M.F.A., le P.S. va, selon sa vocation naturelle, au nom de l'anti-communisme, s'employer à casser l'unité populaire. Dès le 1er mai, une gigan­tesque manifestation regroupe 500.000 personnes à Lisbonne et 100.000 à Porto, soit la quasi totalité de la population, adulte et valide. Le P.S. sous le prétexte, justifié, que la manifestation est colonisée par l'Intersyndicale communiste, va s'employer à casser l'élan populaire. A Lisbonne, Soares tente de perturber le meeting qui termine la manifestation. Dès le 2 mai, il déclenche une contre-manifestation socialiste sous prétexte que le P.C. accaparait la tribune. Bien sûr, presque tous les griefs du P.S. contre le P.C. sont justes; il est évident que le P.C. veut tout monopoliser. Mais la riposte socialiste ne se fait sur aucune base de classe, sur aucune proposition concrète, il ne s'agit ja­mais pour le P.S. de mobiliser les masses contre les apprentis-dictateurs staliniens pour organiser l'autogestion socialiste mais uniquement pour établir un régime parlementaire à l'occiden­tale». Le résultat de cela, c'est que les masses archaïques du nord, encadrées par le clergé le plus à droite d'Europe, s'engouf­frent derrière les revendications socialiste: L'agitation socia­liste n'est pas grave, elle pourrait même servir à mobiliser les masses pour le M.F.A. et la révolution contre le noyautage du P.C. Mais ce n'est pas ce que veut Soares; il mobilisera les masses contre le M.F.A., donc contre la révolution qu'il assi­mile très abusivement au P.C. 

Avec ces manoeuvres, Soares va donc réussir là ou Spinola avait échoué, à casser le M.FA Melo Antunes. Victor Alves et leurs compagnons, le «groupe des Neuf», ceux qui étaient, en juil­let 1974, le fer de lance du M.F.A. vont ainsi prendre la tête de l'opposition dite modérée dans l'armée. Alors que le schéma ini­tial de la révolution portugaise était une alliance peuple-M.F.A. contre les partis, d'où le mot «apartidaire» traduit du portugais pour désigner le mouvement autonome des masses, le M.F.A. va perdre son rôle d'avant-garde politique, se diviser entre pro-com­munistes, pro-socialistes, etc. ; tandis que vont émerger, parallè­lement, le mouvement apartidaire, et d'autre part, le Copcon, d'Otelo de Carvalho. (3) 

Le mouvement apartidaire consiste à construire le socialisme «par le bas». A partir des conseils de travailleurs, des comités de locataires (de «moradores») pour les fédérer à l'échelle nationale (4) dans une République des Conseils qu'ont rêvée Rosa Luxem­bourg en Allemagne comme James Connolly en Irlande. C'est le contraire de la conception social-démocrate et léniniste qui consiste comme le disait Kautsky (père du P.S.) et Lénine (père du P.C.) à construire le socialisme «par le haut-, le Parti et l'Etat se chargeant de «l'introduire dans les masses de l'extérieur» pour reprendre cette expression plaisante des deux frères ennemis précités. La puissance de ce mouvement conseilliste et apartidaire est stupéfiante à Lisbonne et dans son district comme dans toutes les régions au sud du Tage : autogestion des usines, coopératives agricoles, comités de quartier se multiplient liés aussi à l'auto-armement du peuple dans certains cas. La viabili­té de cette expérience autogestionnaire se trouve renforcée par le fait même que l'autogestion est introduite au sein même de certains des régiments du Copcon.

NORD ET SUD 

La révolution, on le voit, semble victorieuse à Lisbonne, dans tout son district et dans toutes les provinces au sud du Tage. Au nord d'une ligne qui suit le Tage puis la Serra de Sintra, il en va tout autrement. Deux tiers du territoire et de la population sem­blent entraînés dans un vaste mouvement dit catholique et anti­communiste, qui évoque la situation qu'à connue la Vendée en 1789-1792, avant le soulèvement royaliste. Je dis bien la Ven­dée et non la Chouannerie bretonne, car, comme en Vendée, le nord portugais ne présente aucune différence ethnique d'avec le reste du pays. (Le Portugal est une nation homogène, l'ethnie portugaise tendant plutôt à déborder ses frontières vers l'Etat Es­pagnol, en Galice qui, celtisée à la même époque que la Bre­tagne, est de langue portugaise). La différence Nord-Sud est ail­leurs : petites propriétés au nord, latifundia avec un prolétariat agricole au sud, poids écrasant d'une église fasciste au nord, la­ïcisme et tolérance au sud, résultat de la très longue occupation arabe. Le clergé, la seule force fasciste organisée dans le pays, (qui n'a donc rien à voir avec l'Eglise d'Espagne ou de France) prêche la croisade et les pogroms anti-communistes, mais, à tra­vers le P.C., il vise le M.F.A. Il est certain que les paysans du nord, écrasés par la misère, n'ont rien à craindre de la révolution qui ne veut attenter ni à la petite propriété, ni à la liberté religieuse. Par contre, ils savent très bien qu'ils ont tout à craindre du P.C. tout le monde connaissant la haine qu'ont les pays dits «communistes» de la petite propriété paysanne, gage de liberté — liberté bornée mais liberté quand même — et de la foi reli­gieuse, crainte d'une idéologie moins oppressante que la foi marxiste-léniniste d'Etat. Qu'importe. Il s'agit — pour l'Eglise — de transformer ces sentiments légitimes en haine non seule­ment du «communisme» stalinien, mais de la révolution et du so­cialisme. 

EPILOGUE PROVISOIRE 

Pour l'instant, le nord n'en est qu'à la révolte larvée ; l'attitude du M.F.A. évitant toute répression, se démarquant par-là du P.C., a empêché le pire : la guerre civile, qui prendrait la forme d'une guerre de sécession nord-sud. Le limogeage du premier Ministre pro-P.C. Vasco Gonçalves est un pas dans ce sens de l'apaisement ; le cadeau empoisonné qui lui fut fait : être chef d'Etat Major d'une armée qui n'en veut pas, ne pouvait qu'entraî­ner sa chute définitive et par-là, celle du P.C. 

Le coup de maître, c'est que la chute de Vasco, c'est le M.F.A. lui-même qui l'aura réalisée et non le P.S. Dans cette perspec­tive on pouvait espérer qu'il ne s'agissait pas de liquider le P.C. pour le remplacer par le P.S., sans compter les «modérés», mais de réaliser un gouvernement M.F.A.+ civils apartidaires appuyé sur des comités d'autogestion comme le prône la plate-forme po­litique du Copcon. Le premier Ministre appartenant à la Marine, arme d'extrême-gauche et non communiste, pouvait réussir cette opération. Cela eut consisté à refaire à la fois à la base et au sommet l'unité du M.F.A. Malheureusement il semble que c'est vers autre chose que l'on s'oriente. Vasco parti, «les neufs» veulent leur revanche et pour ce rétablir l'ordre en faisant taire l'armée d'abord, en la faisant ensuite rentrer dans ses casernes comme le demande explicitement la droite (P,P.D.). Mais il est dif­ficile de faire taire des gens qui ont pris la parole. Le petit groupe d'officiers pro-staliniens, groupés autour de Vasco Gonçalves, li­quidés, le corps des officiers apparaît en bloc (sauf pour le Copcon et la Marine) comme ce qu'il est : un corps conservateur lié au P.S., donc à la droite et au capital. Mais l'équipée temporaire des officiers vers la gauche n'a pas été inutile. Elle a ouvert des vannes qu'ils peuvent difficilement refermer. La masse des sol­dats, présentée hier par les officiers comme moins avancée parce que rurale, et des sergents, d'origine urbaine et souvent ouvrière, s'est radicalisée en profitant du relâchement de la disci­pline. Rétablir la discipline dans l'armée puis dans le pays, tel fut hier le slogan du P.C. maintenant remercié parce qu'il a échoué, aujourd'hui celui du P.S. et de la droite. Mais actuelle­ment cette tâche se heurte à l'immense masse des soldats et des sergents. La scission au sein des Forces Armées n'est donc plus entre officiers progressistes et officiers conservateurs mais entre soldats contre la majorité du corps des officiers. C'est donc là, le 9 septembre 1975 que la révolution portugaise entre dans sa troisième phase, décisive, que l'histoire retrouve ses droits. L'armée est maintenant divisée non plus en opinions poli­tiques mais en classes sociales. C'est la première armée au monde depuis plus de 50 ans à connaître une telle cassure. 

Parallèment, la «société civile» (à tous les sens du terme !) connaît cette cassure après s'être elle aussi débarrassée du P.C. 

On avait pu dire par boutade que s'il n'y a plus un seul commu­niste au nord du Tage, il n'y en a plus non plus au sud, devant l'immense vague d'auto-organisation populaire et d'occupations qui a ébranlé l'Alentejo et l'Algarve. Mais cela est même devenu vrai de Lisbonne, dernier bastion (5) du P.C.P.

Or, «la crise a bouleversé le visage de Lisbonne. Et le refus, le rejet, la haine même du P.C.P. sont partout». «Le Portugal est peut-être le seul pays du monde, avec l'Albanie ou la Chine, où l'expression «social-fasciste» désignant le P.C.P. soit passée dans le langage commun». (S. July, Libération). Avec la diffé­rence fondamentale que cette injure n'est pas exprimée par une clique stalinienne rivale au pouvoir mais par les masses tout en­tières. L'hypothèque stalinienne éliminée, après l'hypothèque «Spinoliste», les semaines à venir vont donc donner l'image d'un choc, frontal ou voilé, entre les prolétaires et les patrons, le corps des troupes et le corps des officiers. Ils n'est pas besoin, comme le font les habituels réveurs-donneurs de leçons, d'exhorter les officiers qui veulent «faire la révolution» de laisser là leur uniforme galloné pour mettre un bleu de travail et aller à l'u­sine. Au contraire la majorité des officiers vont rejoindre leurs unités et s'occuper de leurs intérêts de classe—bourgeois. De même la majorité du prolétariat va devoir quitter le terrain — bourgeois — de l'usine, pour, avec les soldats et la minorité d'officiers révolutionnaires, s'occuper de la société. Ce proces­sus, s'il allait jusqu'au bout, pourrait substituer à la cassure contre-révolutionnaire nord-sud du pays, sa cassure réelle prolé­tariat contre capital. La seule possibilité d'une telle clarification suffirait à montrer que le 25 avril n'a pas été une simple recon­duction «moderne» du capitalisme (démocratie contre fascisme) mais une crise générale de la société portugaise, le début d'une révolution sociale et ce, qu'elle qu'en soit l'issue. 

A.G.




(1)- Parti Africain pour l'Indépendance de la Guinnée et du Cap Vert. 

(2) - Notamment Républica qui, récupéré par les travailleurs contre le P.S. qui s'en était emparé, est devenu un excellent porte-parole des luttes spon­tanées et de l'autogestion révolutionnaire. 

(3) - Commandement opérationnel du continent : troupes d'élite, environ 10.000 hommes, stationnés en métropole, surtout dans la région de Lis­bonne. 

(4) - Voir à ce sujet le «Document du Copcon» à paraître dans la revue Auto­gestion et socialisme, ce document tend à s'appuyer sur les conseils réels à la différence des «Conseils révolutionnaires de travailleurs» organes paritidaires (du PRP-BR) 

(5) - Le terme est tout à fait relatif. Il ne signifiait pas que comme à Billancourt le P.C. soit à peu près hégémonique mais que comme à la Lisnave —exception notable— il contrôlait à peu près la moitié des travailleurs.

domingo, 11 de maio de 2014

Occupations de Terres et Expropriations dans les Campagnes Portugaises




Occupations de Terres et Expropriations dans les Campagnes Portugaises
Présentation et documents relatifs à la période 1974 -1977
Travaux de la RCP 479
Sous la direction de Michel DRAIN - Bernard Domenech
Editions du CNRS, 1982, 226 pages.


"La réforme agraire portugaise est un événement d'une grande portée. Ni nuit du 4 août, ni dé­cret de Lénine, elle fut, d'abord, l'oeuvre des intéressés eux-mêmes : les salariés agricoles d'Alentejo. C'est ce caractère spontané qui lui donne sa valeur révolutionnaire à un double titre. En premier lieu parce qu'elle apporte un démenti à la prétendue passivité du prolétariat rural si souvent exposée dans la littérature anglo-saxonne, en second lieu parce qu'elle imprima à la réforme agraire portu­gaise un caractère nettement anticapitaliste.

Ainsi, au-delà même de son importance réelle pour le Portugal, la réforme agraire en question a une valeur d'exemple qui la place déjà, à côté de la commune de Paris ou de la révolution d'octo­bre, parmi les grands mythes de l'histoire contemporaine.

On ne peut s'étonner dès lors de l'intérêt que lui portent les théoriciens de la société, mais, alors qu'elle est encore très mal connue, il nous a semblé que l'heure était plutôt à l'établissement des faits vrais. C'est à cette modeste tache heuristique que les tableaux statistiques, les graphiques et les cartes qui sont présentés dans ce recueil, prétendent contribuer. Ils sont centrés sur les occupa­tions de terres et sur les expropriations, deux notions qui ne se recouvrent pas. Nous avons cherché à en établir l'importance relative au niveau administratif le plus fin : celui de la paroisse civile ; pour l'ensemble de l'aire de réforme agraire pour ce qui a trait aux terres expropriées, pour le seul district de Evora en ce qui concerne les terres occupées. Pour ce dernier district, le plus important de tous, tant par l'étendue des terres occupées que des terres expropriées, des graphiques permettent en ou­tre de juger du rythme des occupations. Tous ces éléments d'information furent établis et critiqués avec soin afin de fournir aux chercheurs une solide base de données indispensables.

Nous ne pouvions toutefois les livrer sans les accompagner d'une mise au point générale. Cette dernière porte sur une présentation rapide de la région du Portugal qui fut au coeur de la réforme agraire : l'Alentejo. Il s'y ajoute un exposé critique de l'ensemble de décrets-lois et d'arrêtés qui constituèrent, jusqu'à la nouvelle loi générale de l'été 1977, tout le corpus juridique de la réforme agraire portugaise. Enfin, le déroulement des événements est donné jusqu'à cette date décisive qui marque la mise en route de la contre-réforme agraire. Une chronologie aide à relier les faits politi­ques qui se déroulent à Lisbonne et ceux qui se passent dans les campagnes voisines.

Cette mise au point relative à la phase offensive de la réforme agraire des travailleurs et au début des tentatives de son démantèlement peut être considérée comme une introduction à d'autres travaux en cours de l'équipe de recherche coopérative sur programme du C.N.R.S. dont l'objet d'étude porte sur les transformations actuelles de l'agriculture portugaise." M.D. avril 1981

sexta-feira, 9 de maio de 2014

L’autogestion au Portugal (Les luttes au Portugal)

L’autogestion au Portugal

La signification et les conséquences de l’autogestion sont d’une telle importance pour le processus révolutionnaire conduisant à la société sans classes, qu’une analyse plus détaillée de ce mode de lutte s’impose. C’est ce que nous prétendons commencer aujourd’hui en nous appuyant sur des faits concrets et le témoignage de travailleurs en autogestion.

La chute du fascisme laissa intacte la structure de production capitaliste. La crise qui la mine, aggravée par la crise internationale, n’a pas rencontré, de la part du gouvernement provisoire et de l’appareil productif, une quelconque réponse satisfaisante qui empêche de se retrouver dans une situation de crise économique dont les travailleurs feront une fois de plus les frais.

C’est dans ce contexte que surgissent des processus d’autogestion. Dans quels secteurs ? Avec quels objectifs ? Quelle est l’attitude du gouvernement et des autres forces politiques relativement à ce phénomène ?

Nous constatons ceci : c’est surtout dans les secteurs de l’industrie textile, de la confection et parfois de l’industrie du meuble et des produits laitiers qu’apparaissent les occupations d’usine et l’autogestion. Pourquoi ? Entre autre raisons, il faut signaler les suivantes : il s’agit d’industries relativement pauvres, de techniques simples, d’apprentissage facile pour des travailleurs sans formation spécialisée, dont le circuit de production et de commercialisation est court. À ces caractéristiques, surtout celles concernant la main d’œuvre à utiliser, s’en ajoutent d’autres, d’ordre économique et social : en premier lieu, elles suscitent l’intérêt de l’investisseur national et surtout étranger, qui, dans des conditions optima de bénéfice, peut installer des usines et être compétitif sur nos marchés. De plus, cette main d’œuvre bon marché, peu spécialisée, sans possibilité d’instruction, vivant surtout en zone rurale, n’a pas l’expérience de l’association et de la lutte ouvrière.

Comment dès lors, est-ce dans ces secteurs défavorisés qu’apparaît l’autogestion, que nous considérons comme une forme avancée de lutte, un phénomène révolutionnaire ?

Les phénomènes d’autogestion apparaissent presque toujours à un moment de crise de l’entreprise : faillite ou fermeture de l’entreprise. À ce moment le problème est de subsister et subsister veut dire garder l’emploi. Pour cela, on fait un pas radicalement nouveau : les installations sont occupées, les travailleurs, ou une partie d’entre eux, se déclarent en autogestion, l’usine reprend comme elle peut : l’emploi et le salaire correspondant demeurent, assurés dans l’immédiat.

À l’euphorie ou à la terreur du premier moment, succèdent rapidement les difficultés inhérentes au processus, qui dépassent la simple question de maintenir l’emploi. Et c’est à ce moment que l’autogestion commence à révéler toutes ses potentialités de processus nouveau, et ne se présente pas seulement comme un recours plus ou moins heureux pour résoudre de façon transitoire la situation de crise et les risques de perte d’emploi.

Quelle est l’attitude du Gouvernement. provisoire et des forces détentrices du pouvoir politique face à l’autogestion ?

Quand une grosse entreprise est en crise, l’État intervient, nomme une Commission Administrative et maintient l’entreprise. En effet, comment le capitalisme d’État pourrait-il se développer si les grandes entreprises sont totalement contrôlées et gérées par les travailleurs ?

Quand, par contre, une petite ou moyenne entreprise se trouve dans une situation semblable et se met en autogestion, le gouvernement s’en désintéresse, se montre hésitant, ambigu. Pourquoi ? Serait-il intéressé par le contrôle direct ou l’appropriation des moyens de production par les travailleurs ?

Nous y répondrons plus loin.



Difficultés de l'autogestion

La première limite qui apparaît est la fourniture des matières premières, surtout quand elles viennent de l’étranger ; quand elles viennent du Portugal, les travailleurs se heurtent au boycott des capitalistes. Quand les travailleurs ont des stocks, ils peuvent produire pendant un temps plus ou moins long ; quand ces stocks sont épuisés, ils sont obligés de faire appel aux organes de pouvoir pour obtenir un « volant de crédit ». Ceci entraîne la perte de l’autonomie acquise par l’occupation. C’est à travers cette nécessité de « capital » que le gouvernement et les organes de gestion ou de contrôle politique vont se donner les moyens d’encadrer les travailleurs.

Si ces barrières sont dépassées par les travailleurs, l’apprentissage du processus autogestionnaire peut continuer. Mais la lutte est conditionnée par deux questions : la nécessité de l’approvisionnement et l’écoulement du produit fabriqué. Ce sont ces problèmes qui conditionnent et limitent l’avancée des luttes, et qui sont à l’origine des difficultés de contrôle des moyens de production par les travailleurs.

Quand les travailleurs sont occupés par ces problèmes (d’achat et de vente) il leur est difficile de se poser d’autres questions. C’est ainsi que la participation de tous à la production est considérée comme nécessaire par les Commissions de Travailleurs, nécessaire, non comme droit de tous à participer à la gestion, mais comme une nécessité pour augmenter la production, ce qui leur permettra de rivaliser avec le marché capitaliste.

Ces Commissions apparaissent comme l’ensemble des travailleurs les plus capables de gérer l’entreprise ; on ne soulève pas le problème de la formation politique de ces éléments, mais simplement de leur capacité à gérer les affaires. Mais quand les travailleurs s’aperçoivent que ces Commissions résolvent tout, sans que cela découle de la participation réelle de tous les travailleurs, elles sont remises en cause. Dans certaines usines en autogestion, la première Commission de gestion fut remplacée : ce qui permit une meilleure participation de tous les travailleurs au processus productif. Cela, du fait que les travailleurs, continuant à s’occuper de maintenir l’emploi et les salaires, s’apercevaient que la gestion est une préoccupation collective. C’est en se préoccupant de la solution de ces problèmes, que les travailleurs en autogestion ont été amenés à renforcer la solidarité entre diverses entreprises, en autogestion ou pas.

En effet, nous disions que c’était la nécessité d’obtenir du capital qui permettait au gouvernement et au Pouvoir de récupérer les luttes autonomes. Or, les travailleurs, s’ils n’ont pas la solidarité économique des autres travailleurs sont forcés de faire appel au gouvernement, et de passer par l’intermédiaire des syndicats.

Le gouvernement est intéressé à ce que ces modes de lutte existent, car cela évite l’augmentation du chômage, mais l’autonomie de ces luttes ne peut être tolérée. Ces temps-ci, le gouvernement trouve des formes de contrôle de ces luttes autonomes.

On assiste à une tentative des syndicats de transformer les usines autogérées en coopératives de production, plus facile à encadrer et à planifier, et aussi subordonner les travailleurs de ces coopératives aux directives élaborées par les dirigeants politiques.

Les travailleurs en autogestion savent que pour vivre, il faut produire et vendre, d’où leur préoccupation de produire toujours plus. Mais cette action autonome peut les amener à dépasser cette simple question de l’emploi. Ce dépassement fera apparaître le vrai sens de l’autogestion. C’est ainsi qu’une conscience et une pratique nouvelle se forgeront. L’autogestion n’est pas seulement une solution provisoire en temps de crise.

Ce que ces luttes tracent de neuf, c’est la possibilité et la nécessité sentie par les travailleurs de se frayer une voie décisive indépendamment de syndicats et d’organisations politiques. Indépendance, parce que les travailleurs en autogestion sont forcés de faire un pas qui ne peut être contenu dans les limites des organisations politiques et syndicales.

Quand les travailleurs se réunissent et prennent conscience que, en commun, et entre eux, ils abordent la question de la technologie, et d’autres, ils commencent à comprendre que leurs problèmes ne sont pas seulement ceux de leur usine, mais de toutes les usines, et à affirmer publiquement que les syndicats, les partis et l’État ne sont pas nécessaires.


Editorial du journal Combate, n° 23 du 16/5  au 30/5 - 1975




A propos de l’autogestion


La lecture de cet article amène un certain nombre de réflexions sur ce qu’est l’autogestion. Ce mot, à l’heure actuelle, a la fonction quasi magique d’évoquer la « révolution en marche » ou « un processus révolutionnaire irréversible », etc., et cela, spécialement dans la situation portugaise où il est utilisé par les gauchistes comme justification et preuve de la mise en place, par la classe ouvrière, de structures révolutionnaires.

Cela pose à notre avis deux questions : quelle « autogestion » a été mise en place au Portugal, quel est son contenu réel ? Et, plus généralement, qu’entend-on par autogestion ? Suffit-il que les travailleurs d’une entreprise se déclarent en autogestion pour que la lutte des classes trouve là son optimum d’express:on positive et que les embryons de la société future v soient en germe ?

L’autogestion est décrite ici dans le contexte de contraintes et de difficultés économiques auxquelles se heurtent ce genre d’expériences, tant du point de vue des problèmes liés au marché capitaliste que du blocage réalisé par le pouvoir et les syndicats. Cette situation constitue les « limites auxquelles s’affrontent les travailleurs ; face à cette analyse, on assiste à une affirmation, un appel presque incantatoire à la combativité des travailleurs pour dépasser ces limites, « dépassement » qui acquiert une valeur presque mythique dans la mesure où aucun indice concret de ce dépassement n’est évoqué. Une remarque s’impose à ce propos : il s’agit ici d’un schéma traditionnel concernant le rôle de la classe ouvrière qui doit pourfendre les démons du capitalisme, gouvernement, partis et syndicats (les patrons sont éliminés ou absents…) pour montrer ses capacités d’auto-organisation, son autonomie. Mais de quelle autonomie ou auto-organisation s’agit-il, on y reviendra bientôt, celle de bien gérer et écouler la production capitaliste ? En effet, quelles que soient les structures mises en place, l’autogestion est valorisée comme processus d’apprentissage (réussi éventuellement) de la démocratie dans l’usine, processus d’où émerge la conscience de classe… mais pour quoi ? Pour ne plus être exploité par un patron repérable, un ministère, une commission ou un syndicat, un bureaucrate, mais pour toujours être un prolétaire, auto-contrôlant sa vie de producteur dans une entreprise toujours située dans un processus de production capitaliste, soumis à la loi de la productivité ? Qu’y a-t-il de changé ?

En effet, comme il est dit dans l’article, les entreprises occupées qui tentent de fonctionner en autogestion se heurtent au problème de la structuration capitaliste de l’économie (écoulement du produit fini, prix du marché, dispositif technologique) et aux problèmes de survie, c’est-à-dire qu’il faut bien un salaire. Les contraintes exercées sur les travailleurs qui gèrent leur entreprise sont les mêmes (ou sont supérieures), et les impératifs n’ont pas changé : efficacité, productivité. Même si les travailleurs, par leurs luttes, ont réussi à se débarrasser du contrôle du gouvernement ou des syndicats, ils doivent, pour survivre, rendre leur entreprise compétitive sur le marché, respecter les normes qualitatives et quantitatives de production. On a vu ainsi des usines en autogestion réussir à doubler la production (belle application de « la bataille de la production »), élire… démocratiquement des gestionnaires avisés et compétents (la division du travail et la rotation des tâches seront remises à plus tard… ), cela se soldant par un nombre d’heures de travail plus élevé qu’avant, parfois le maintien des différences de salaires (entre hommes et femmes, exécutants et petits chefs, petits chefs et gestionnaires), etc.

Il ne s’agit pas à travers ces critiques de condamner les expériences d’autogestion, de méconnaître l’acquis positif de ces processus de lutte pour la démystification du système, la compréhension des mécanismes d’exploitation, du rôle des syndicats et commissions de tout poil ; il s’agit plutôt de mettre en doute une vision de la révolution par stades ou changements successifs, comme quoi, dans un premier temps, à travers leurs luttes, les travailleurs font leur éducation, dégomment les grands et petits chefs tout en continuant, pour survivre, à se poser les mêmes questions que leurs ex-patrons gestionnaires, à garder les mêmes structures de production ; et ensuite, petit à petit, quand leurs yeux se seront décillés, ils se poseront les vrais problèmes de la société révolutionnaire : quelle production pour quels besoins, avec quelle technologie, quel temps de travail, l’abolition de la division du travail, base de la non reproduction des hiérarchies et du pouvoir. Il nous semble au contraire que si ces problèmes ne sont pas posés d’emblée, l’autogestion ne sera qu’une des modalités que revêt l’exploitation capitaliste, faisant plus illusion (les travailleurs participent, ont le contrôle apparent de leur travail), mais restera une forme de gestion du capital.

L’autogestion est ainsi une bonne solution en cas de crise : pas de problème de chômage, la production continue ; la répression n’a pas besoin de s’exercer directement puisque les objectifs du système sont remplis. L’autogestion, telle qu’on peut la voir au Portugal ou dans les luttes ici, si elle ne s’accompagne pas d’une remise en cause plus radicale du système, n’est qu’une autre forme de soumission au capital.

Ce qui me fait peur dans le mot autogestion, c’est qu’il y a aussi le mot gestion.

Agathe.


La Lanterne Noire n°4 (décembre 1975)