25 avril 1974 - 25 avril 1977
PORTUGAL:
UNE COMMISSION DE
TRAVAILLEURS
TROIS ANS APRES
Aux
transports aériens portugais:
l'exemplaire montée de la droite
« Ma présence — à titre personnel dans l'Intersyndicale — s'inscrit dans la ligne d'unité que j'ai toujours défendue. Les partis doivent effacer leurs divergences au niveau syndical. L'entente doit être faite non entre les partis mais entre les hommes ayant une plate-forme commune. Les travailleurs ne doivent pas opter en fonction de leurs partis mais de leur classe » : quelques jours avant que Mario Soares ne définisse la « ligne syndicale » du PS en condamnant notamment la présence de militants du PS dans l'Intersyndicale, Kalidas Barretto, un des dirigeants ouvriers les plus importants du Portugal, militant de l'aile gauche du PS nous réaffirmait la nécessité de « l'unité à la base ».
Selon
Kalidas Barretto, le refus de cette unité de la part du PS
ne pourra à terme, et si il se poursuit que faire perdre au
PS toutes ses commissions syndicales et
éloigner de ses rangs tous les dirigeants syndicaux. Déjà la
politique du gouvernement socialiste a entraîné la démobilisation
de nombreux militants socialistes ainsi que la perte de plusieurs
commissions syndicales ou de travailleurs pour le PS.
Ainsi « l'indéfinition » de la ligne syndicale du PS
et sa méfiance à faire une alliance avec les travailleurs
de gauche a permis au PSD (ex-PPD) de remporter les élections à la
Caisse générale des dépôts. Il en est de même au « Syndicat des
banques du sud » où la direction syndicale socialiste a été
battue par le PSD alors que l'ensemble des voix PS-PC
atteignait le double de celles obtenues par le PSD. Si il est vrai
que la coalition de droite PSD-CDS ne l'a jamais emporté dans les
entreprises où les ouvriers sont majoritaires, leurs récentes
victoires dans les entreprises ayant un secteur tertiaire très
développé est inquiétante. Le cas de la TAP est à ce sujet
significatif.
Une
commission de travailleurs refusant de convoquer une assemblée
générale et — ce que même la direction de l'entreprise ne fait
pas — interdisant aux travailleurs de se réunir sur leur lieu de
travail. Telle est, trois ans après le 25 avril, la situation dans
une entreprise qui a pourtant derrière elle une tradition de lutte
remontant bien avant la « Révolution des capitaines » : les
Transports aériens portugais (TAP).
Une
entreprise, il est vrai pas tout à fait comme les autres. «
Mini-Portugal », disent les uns, faisant
allusion à la présence au sein même de la TAP de la hiérarchie
des salaires existant à l'échelle nationale : le plus fort salaire
du pays est actuellement celui de son président. « Première
multinationale portugaise » rétorque la direction se référant au
fait que sur les 9000 travailleurs de la TAP, 1200 environ sont
employés à l'étranger. « Entreprise dans laquelle réaliser une
unité de lutte relève de l'exploit », expliquent les ouvriers qui
se savent très minoritaires (environ un tiers des effectifs) face au
personnel administratif et « volant ».
Mais,
exemple significatif aussi du reflux actuel des « organisations
de base » et des difficultés rencontrées par les travailleurs,
lorsque, comme c'est le cas à la TAP, les Commissions de
travailleurs (CDT) sont contrôlées par la coalition de droite
PSD-CDS (parti social démocrate, ex-PPD — Centre démocratique et
social) pour faire respecter des droits élémentaires, notamment le
droit de réunion. Significatif aussi des conséquences du
« partidarisme » et de la « désunion »
de la gauche : la coalition PSD-CDS a pu prendre le contrôle de
la CDT d'une part parce que les luttes partidaires ont divisé les
travailleurs. D'autre part parce que le personnel administratif et
les « volants » , traditionnellement conservateurs, ont
profité du nouveau rapport de forces instauré dans le pays après
le 25 novembre pour se faire entendre, aidés en cela par l'attitude
du PS et aussi du PC.
TRADITION
DE LUTTE
En
1973, les ouvriers de la TAP font grève et affrontent pour la
première fois la police de choc de Caetano qui les expulse des
locaux. Trois ans auparavant, en 70, les ouvriers métallurgiques du
district de Lisbonne, s'engouffrant dans la timide « ouverture »
syndicale de Caetano (très relative puisque les réunions
étaient interdites), parviennent à battre la liste fasciste lors
des élections du syndicat des Métallos. La majorité de la
direction du Syndicat des Métallos est alors composée de
travailleurs de la TAP. Mais la direction des métallos ne
fonctionnera que quatre mois. Caetano, destituant et emprisonnant en
70 son président, Santos Junior.
LE
PIEGE DE LA CO-GESTION
En
avril 74, les ouvriers de la TAP sont parmi les premiers à exiger,
après l'avoir décidé en assemblée générale, l'expulsion de la
direction fasciste. Immédiatement les ouvriers, auxquels se sont
joints de nombreux employés, désignent trois travailleurs pour
gérer l'entreprise tandis que la « Junte de Salut Nationale »
nomme les autres membres de la direction. « Nous
avons fait une erreur en désignant ces trois personnes : c'était
admettre la co-gestion. Erreur d'autant plus grave qu'en acceptant
l'augmentation de leur salaire
de 11 000 à 52 000 escudos, deux des trois ouvriers ont porté un
coup terrible aux travailleurs qui ont exigé leur départ de
l'administration. Dès lors, la nomination des administrateurs a été
du ressort du gouvernement », se
souvient Santos Junior qui fit pantie des trois commissions créées
après le 25 avril (CDT, Commission syndicale et commission
d'assainissement).
LA
MILITARISATION DE LA TAP
Très
vite, les ouvriers réclament une réduction de l'échelle des
salaires, le gel des salaires, la révision des horaires de travail
(les « administratifs » font 37 h 1/2 par semaine, les ouvriers 40
à 44 heures). Dans les assemblées, le tertiaire et les « volants»
s'opposent aux ouvriers tandis que le CPC les condamne. Au nom de la
« sauvegarde de l'économie portugaise » et en les
accusant d'être « manipulés par la CIA
La paralysie d'un hangar
entrainera l'intervention des commandos et de Jaime
Neves.
Neves
pointait sa G3 sur les ouvriers en leur ordonnant
de reprendre le travail. Bien qu'il ait quasiment pris un travailleur
en a otage a dans un Chaimite, nous avons refusé de le faire », se
souvient un ouvrier. Sept ouvriers désignés par le PC comme «
agitateurs a ont
été expulsés et conduits dans une caserne : une gigantesque
manifestation de rue a exigé leur libération puis leur
réintégration.
LUTTES
PARTIDAIRES
Viennent
alors les élections pour les CDT : véritables luttes partidaires,
elles ont, de six mois en six mois, divisé les travailleurs. Leur «
coloration » politique suivra à peu près l'évolution de la
situation politique portugaise : la première CDT était composée
essentiellement d'indépendants et d'éléments de gauche
révolutionnaire, la seconde contrôlée par le MRPP, la troisième
par le PS, la quatrième
aujourd'hui par la coalition PSD-CDS !
Comment
expliquer ce « glissement » ? Le 25 novembre a marqué la
transition d'une commission à une autre. Le PS a
profité du nouveau climat politique pour, en s'appuyant sur les
éléments les plus conservateurs, prendre le contrôle de la CDT. «
C'est la commission PS qui
a ouvert la voie au PSD et au CDS, explique un métallo de la
TAP. Elle refusait les AG, affirmait cyniquement qu'elle ne
respectait pas les statuts, imposait que toute
le personnel de la TAP, y compris les employés en poste aux USA ou
ailleurs aient le droit de vote ; ne discutait jamais de nos
problèmes. Le vote secret, le refus de tenir des AG, les nouveaux
statuts impossibles à discuter, qui caractérisent aujourd'hui notre
situation sont le fruit du travail du PS ».
Lors
de la discussion des statuts de la CDT, la division de la gauche a
permis au PSD-CDS d'imposer son statut contre les trois statuts
différents présentés par le PC, le MRPP et le PS.
Résultat : le PSD a imposé son statut avec 1000 voix tandis
que le PS en obtenait 800, le PC 400 et le
MRPP 120. Mais surtout, fait significatif de l'écoeurement et de la
démobilisation de la plupart des travailleurs à l'égard des
affrontements partidaires, du refus d'alliance de la gauche et de
l'impossibilité de discuter des statuts... 6700 travailleurs se sont
abstenus ! Le coup de semonce donné par l'approbation des statuts du
PSD-CDS a toutefois créé un sursaut chez les « indépendants »
qui ont tenté d'unir toutes les forces de gauche pour éviter la
victoire prévisible de la droite à
l'élection de la CDT en février dernier. En vain. « Le PS
a refusé de parler avec le PC, le MRPP aussi. Le PC a
parlé de faire plusieurs réunions unitaires pour combattre la
droite mais n'a rien changé à ses pratiques sectaires en tentant de
tout hégémoniser. Les indépendants voulaient appeler à une
réunion de tous les anti-fascistes de la TAP pour discuter des
programmes des différentes listes. Le PC a répondu que « le terme
anti-fasciste » divisait les travailleurs. Finalement, les
indépendants n'ont plus participé aux réunions », rapporte un
syndicaliste ouvrier.
Le
PSD-CDS n'a eu qu'à tirer les marrons du feu, aidé en cela par
l'avancée générale de la droite : sa
liste l'a emporté lors des élections pour
élire les représentants de la CDT avec 2000 voix (le plein des voix
du personnel d'aviation notamment), le PS obtenant
1800 voix, le PC 1400 et 3000 travailleurs préférant s'abstenir.
UNITE
TARDIVE
Il a fallu cette énorme défaite pour que PC, PS et MRPP s'unissent et élisent un secrétariat. Trop tard : la CDT est aujourd'hui bien en place et refuse tranquillement de convoquer une AG, refuse toute salle de réunion, intervient dans le champ syndical... «
La commission est plus à droite que la direction, dit un métallo. La crise économique ouvre cependant de bonnes perspectives de lutte. Mais j'ai très peu confiance : chacun va tenter à nouveau de tirer la couverture à soi »
Pendant
ce temps, la direction de la TAP déclare que le déficit important
de la compagnie est dû aux «revendications exagérées des
travailleurs et à la crise du tourisme ». « Faux, répond l'un
des dirigeants ouvriers de la TAP. La direction a décidé une
augmentation des gérants de 4500 escudos par mois alors que les
ouvriers n'ont pas été augmentés de plus de 700 escudos. C'est la
première fois depuis le 25 avril que la direction décide
d'abandonner la politique de gel des salaires. Ainsi va le Portugal.
Mais cela va peut-être nous permettre aussi de remobiliser les
travailleurs ».
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Libération le 27 avril 1977 |